Ce collège étudie Adorno avec Marshal McLuhan, Pierre Bourdieu et Roland Barthes
ADORNO écrit “Dialectique de la Raison”: Le livre éclaire le processus logique et historique par lequel les Lumières sont conduites à se transformer en leur contraire, le mythe ou la barbarie, dont elles prétendent s’émanciper, au lieu d’œuvrer pour une société plus humaine. Les auteurs cherchent en même temps les conditions de possibilité pour le sauvetage du projet des Lumières dans un contexte où la civilisation dans son ensemble est menacée à l’échelle planétaire.
Pour ADORNO l’œuvre d’art traduit des contradictions et les élève à leur sens, non en décrivant des situations mais en assumant une forme contradictoire. Adorno analyse le sens du silence dans le théâtre de Beckett : faire signifier l’absence de sens pour montrer un monde dont le sens s’est absenté. C’est la forme qui est signifiante et non le contenu qui est montré. L’œuvre d’art doit donc viser l’autonomie et dans le même temps, sa formalisation est porteuse des contradictions sociales : « L’ambiguïté des œuvres d’art, à la fois autonomes et phénomènes sociaux, fait facilement osciller les critères. » : c’est en tant qu’elles sont autonomes qu’elles sont le mieux des phénomènes sociaux et quand elles sont des phénomènes sociaux, elles sont poussées vers l’autonomie. « Ce qui est social dans l’art, c‘est son mouvement immanent contre la société et non pas sa prise de position manifeste. ». Nous sommes donc renvoyés à l’impact de l’œuvre sur le réel et là encore, l’œuvre est prise dans une contradiction. L’œuvre est prise dans une contradiction entre sa puissance de contestation et sa puissance d’affirmation, de légitimation du monde. Et de fait, pour Adorno, l’œuvre d’art est toujours une évocation de ce qui n’est pas. Par son pouvoir d’évoquer l’absence, elle est en rupture avec ce qui existe. « Dans toute œuvre authentique, apparaît quelque chose qui n’existe pas. », ou plus loin : « La réalité des œuvres témoigne de la possibilité du possible. »
Pour Marshall McLuhan “Le médium, c’est le message”
En une phrase, le penseur voulait souligner l’importance du canal de transmission, bien avant l’information qu’il transmet, dans la construction de la réalité sociale. Selon lui, la technologie, par l’usage que l’on en fait, vient forcément modifier nos façons de penser, de réfléchir et donc notre façon de concevoir notre environnement, notre rapport aux objets, aux autres, au monde… Père conceptuel du «village global» Il était un précurseur, le premier à avoir construit une théorie, une pensée dynamique sur les technologies, leur usage et leur impact sur les comportements humains», avec les risques que cela a comportés en son temps. « Médium chaud, médium froid », « Le médium, c’est le message », « Village global », toutes ces expressions que le langage courant a retenu des travaux de McLuhan sont d’abord le fruit d’une réflexion visionnaire, parfois contestée, souvent originale, sur la nature des médias. L’originalité de Marshall McLuhan ne tient pas seulement à sa définition du mot « média », qui comprend désormais tous les prolongements technologiques de l’homme. Elle vient aussi de la vision globale qu’il propose de nos sociétés technologiques et qui devait marquer un jalon important dans l’étude de la civilisation humaine. Dans les années 1960, Marshall McLuhan prévoit déjà à quoi ressemblerait le monde médiatique qu’a été celui de l’an 2000. Toutefois, même dans les sociétés démocratiques ouvertes d’aujourd’hui, le problème épistémologique de la compréhension demeure entier : pour qu’il puisse y avoir compréhension entre des hommes de structures de pensée différentes, il faut pouvoir passer à une méta-structure de pensée qui comprenne les causes de l’incompréhension des unes à l’égard des autres et qui puisse les dépasser. Comprendre les médias peut ainsi contribuer à la compréhension entre les humains. La connaissance des problèmes clés du monde, si aléatoire et difficile soit-elle, doit être tentée sous peine d’infirmité cognitive. C’est dans cet esprit qu’il faut relire ses travaux sur les médias devenus le cri de guerre contre les chantres des idéologies classiques qui séparent, d’une part, les sciences physiques et technologiques, et d’autre part, les sciences humaines et sociales. Comme l’écrivait Marcel Mauss, il faudrait se garder d’une erreur, celle qui consisterait à « ne considérer qu’il y a technique que quand on a instrument, alors que le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme ». Il n’a pas été évident, pour les « sciences » habituées à tout fragmenter, de se faire dire que « le message, c’est le médium » ; c’est-à-dire que les effets d’un média sur l’individu ou sur la société dépendent, de façon primordiale, du changement d’échelle spatio-temporelle, de la vitesse ou des modèles qu’il provoque dans les affaires humaines. Cette maxime, probablement la plus célèbre de McLuhan, signifie que « la technologie des échanges par les médias qui transportent de la matière/énergie et/ou information ; quoiqu’elle véhicule, elle nous fait changer » Relire Pour comprendre les médias, près d’un demi-siècle après sa parution, c’est s’étonner de la vivacité de certaines propositions de McLuhan : les médias considérés comme des prolongements technologiques de l’homme, la nécessité d’une vision globale, la crise de la spécialisation et des grands systèmes… Mais comme pour tous ceux qui se risquent à l’exercice de la prévision et de la prospective, les analyses de McLuhan connaissent aussi des ratés. Il faut prendre McLuhan pour ce qu’il est : un homme qui a eu des intuitions extraordinaires, mais qui a aussi raconté des sottises. Par exemple, la classification des médias en « chauds » et « froids » n’est pas pertinente. Les médias devraient être classés en tenant compte des sciences cognitives, les nouvelles sciences du cerveau/esprit pour pouvoir étudier les prolongements technologiques de notre système nerveux. Les propos de Marshall McLuhan nous mènent tout droit au point de vue de Régis Debray au travers de la médiologie. La démarche médiologique entend surmonter l’opposition habituelle entre technique et culture. Elle étudie les soubassements matériels du monde spirituel et moral (idéologies, croyances…) ainsi que les effets des innovations techniques sur notre culture et nos comportements. « Dans médiologie, « médio » ne dit pas média ni médium mais médiations, soit l’ensemble dynamique des procédures et corps intermédiaires qui s’interposent entre une production de signes et une production d’événements. » Plutôt qu’aux processus de communication (circulation dans l’espace), elle s’intéresse aux phénomènes de transmission (au sens de transmission d’un patrimoine) : comment une idée prend-elle corps et dure-t-elle dans le temps long ? Comment l’apparition d’une technique (moyen de transport, moyen d’écriture ou d’enregistrement) modifie-t-elle durablement les mentalités, les visions du monde, le rapport à l’espace ou au temps, les comportements d’un groupe humain ? Mais aussi quelle est l’influence d’une culture sur l’adoption et l’adaptation d’une nouvelle technique ?
* Régis Debray, né le 2 septembre 1940 à Paris, est un écrivain, haut fonctionnaire et universitaire français, promoteur de la médiologie.
Pierre Bourdieu: Œuvre aux filiations complexes
Bourdieu est l’héritier de la sociologie classique, dont il a synthétisé, dans une approche profondément personnelle, la plupart des apports principaux. Ainsi de Max Weber, il a retenu l’importance de la dimension symbolique de la légitimité de toute domination dans la vie sociale ; de même que l’idée des ordres sociaux qui deviendront, dans la théorie bourdieusienne, des champs. De Karl Marx, il a repris le concept de capital, généralisé à toutes les activités sociales, et non plus seulement économiques. D’Émile Durkheim, enfin, il hérite un certain style déterministe (principe de causalité) et, en un sens, à travers Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss, structuraliste. Il ne faut pas, toutefois, négliger les influences philosophiques chez ce philosophe de formation : Maurice Merleau-Ponty et, à travers celui-ci, la phénoménologie de Husserl ont joué un rôle essentiel dans la réflexion de Bourdieu sur le corps propre, les dispositions à l’action, le sens pratique, l’activité athéorique : c’est-à-dire dans la définition du concept central d’habitus. Par ailleurs, Wittgenstein, cité dès “Esquisse d’une théorie de la pratique” en 1971, est une source d’inspiration importante pour Bourdieu, en particulier dans sa réflexion sur la nature des règles suivies par les agents sociaux. Enfin, Bourdieu a placé, à la fin de sa vie, sa sociologie sous le signe de Pascal : « J’avais pris l’habitude, depuis longtemps, lorsqu’on me posait la question, généralement mal intentionnée, de mes rapports avec Marx, de répondre qu’à tout prendre, et s’il fallait à tout prix s’affilier, je me dirais plutôt pascalien”.
Roland Barthes: Au cours des années 1950, dans Mythologies (Seuil, 1957), Roland Barthes s’exclamait : « (…) une de nos servitudes majeures : le divorce accablant de la mythologie et de la connaissance. La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre. » (Barthes 1957 : 72-73) Dans ce livre majeur, il décrit des mythes aussi divers que la Citroën DS, le catch, le vin, le visage de Greta Garbo, le steak-frites et le discours colonial français. Mais il analyse également le phénomène même du mythe. En dernière analyse, la doxa propagée par le mythe, pour Barthes, est l’image que la bourgeoisie se fait du monde et qu’elle impose au monde. La stratégie bourgeoise est de remplir le monde entier de sa culture et de sa morale, en faisant oublier son propre statut de classe historique : « Le statut de la bourgeoisie est particulier, historique : l’homme qu’elle représente sera universel, éternel ; (…) Enfin, l’idée première du monde perfectible, mobile, produira l’image renversée d’une humanité immuable, définie par une identité infiniment recommencée. » (Barthes 1957 : 250-251)
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