Laurent Gervereau est un historien français qui s’est beaucoup intéressé à la question de l’influence visuelle et à la production et circulation des images dans les sociétés passées et actuelles. Passionné par les arts plastiques, il a contribué activement à la conservation du patrimoine culturel. Dans son approche, il critique la tendance des « visual studies » américains, puisqu’à son avis ces approches ont souvent ignoré le contexte de production des images. Oubli qui, selon lui, peut provoquer « des confusions et des contresens » pour sa compréhension globale. Il existe pour cet auteur certaines démarches qui utilisent des approches sémiologiques capables de « balayer » sans problèmes la contextualisation d’une image, et qui peuvent produire « des analyses brillantes mais totalement anachroniques ». C’est la raison pour laquelle L. Gervereau nous rappelle constamment la nécessité d’une « prise en compte historique de l’ensemble de la production visuelle humaine » .
Ce qu’il nomme « histiconologie ».
De cette manière, le texte le livre nous offre une grille d’analyse assez particulière pour l’étude et le « décryptage de tous types d’images ». En décrivant les apports faits par l’histoire de l’art, la sémiologie et notamment par l’histoire, dans l’analyse des images, Gervereau propose les différents types d’analyses qui feraient chacun des spécialistes à propos d’une même image. Cette approche lui permet de contraster les différences et les spécificités de chaque discipline. Cela lui sert d’ailleurs à illustrer l’usage anecdotique que l’image a eu en histoire. Car, elle y a souvent été utilisée comme un simple complément de l’écriture et on lui a dénié « toute qualité de source à part entière » (Gervereau, 1994 :30).
Cette idée rejoint l’argument d’Elizabeth Chaplin dans son ouvrage Sociology and Visual Representation (1994). Pendant cette tâche, chacun des spécialistes se pose des questionspertinentes sur l’image en question. Néanmoins « pour établir une analyse générale de l’image, il importe de rassembler leurs préoccupation » (Gervereau, 1994 :39). À partir de ceci on peut inférer que l’analyse résultante que chacun d’entre eux fera, sera probablement réductrice, à cause de la univocité inhérente aux limites de chaque discipline. Par exemple, l’étude qu’un historien puisse faire sur une certaine image restera, de par les compétences de celui-ci, une analyse purement historique.
Donc, afin de déboucher sur une étude globale et plus complète, il nous propose une grille d’analyse commune et composée de trois principales étapes : Description, évocation du contexte et interprétation. La première étape de décryptage d’une image est la description : une phase essentielle, qui nous permet de passer d’un sens premier ou banal, à une analyse plus détaillée et minutieuse.
En d’autres mots, c’est la transition entre le fait de « voir » et de « regarder » une image. Elle inclut en même temps, la considération de trois autres aspects : la technique (nom de l’émetteur, mode d’identification des émetteurs, datte de production ou technique employée), la stylistique (nombre de couleurs, prédominance de certains éléments, volume ou intentionnalité) et la thématique (rapport entre l’image et le texte, symboles utilisés ou thématiques d’ensemble).
Bien que la description « apporte des éléments tangibles à la compréhension de l’image » (Gervereau, 1994 : 40), pour Gervereau « c’est le contexte qui permet d’éviter les plus rudes contre-sens » (Gervereau, 1994 : 54). Donc, c’est l’évocation et la prise en compte de celui-ci, ce qui permet de mieux interpréter la signification d’une image. Il précise d’ailleurs son argument en faisant la distinction entre un « contexte en amont » et un « contexte en aval ».
Le « contexte en amont » tente de savoir pour quoi une image est apparue.
Pour se faire on doit se poser des questions sur l’image en elle-même (importance des matériaux et des techniques utilisés, en relation à l’époque à laquelle l’image a été faite ; identification du support de base de l’image : journaux, affiches, etc.), sur l’auteur (« Qui a réalisé l’image est quel rapport avec son histoire personnelle ? » ,p.57) et sur le contexte extérieur (« Qui a commandité l’image et quel rapport avec l’histoire de la société moderne de l’époque ? », p.58).
De cette manière on pourrait mieux situer l’image dans son contexte original et mieux comprendre sa parution. En revanche, le « contexte en aval » prend en compte la propagation d’une certaine image à partir du moment de sa création. Ici il est question de connaître d’abord sa diffusion, c’est-à-dire savoir, d’une part, si l’image a connu une diffusion au moment même de sa production ou une diffusion postérieure, et d’autre part, savoir qui a réellement vu cette image (p.64).
Ensuite, pour estimer son impact il faut se demander « Quelles mesures avons-nous du mode de réception de l’image au fil du temps ? » (p.65). De cette manière, il est possible d’identifier, à travers les appréciations des récepteurs, les traces qu’une image a pu laisser. Finalement, l’interprétation se révèle comme l’achèvement de toutes les étapes précédentes. Or, de par sa subjectivité, elle est capable de biaiser la recherche. Il est donc nécessaire d’avoir de « solides garde-fous » qui puissent nous permettre de ne pas tomber dans le « sens premier ».
Il s’agit alors de « s’appuyer sur la description et le rappel du contexte » (p.54), afin de construire une signification concrète et fiable de l’image. Dans cette partie, L. Gervereau fait la distinction entre significations initiales et significations ultérieures, qui réside principalement dans la chronologie de l’image. C’est-à-dire que celle-ci, au moment de sa production, n’a certainement pas eu la même signification que celle qu’on peut lui attribuer actuellement. Pour terminer, il destine la dernière étape de sa grille d’analyse, au bilan et appréciations personnelles, afin de laisser une place à la subjectivité. Il déclare en effet que « la scientificité du chercheur dans le domaine de l’analyse de l’image reste justement celle de proclamer sa non-scientificité : son caractère ouvertement subjectif » (p.85).
À partir de cette grille d’analyse, on s’aperçoit de l’importance donnée par l’auteur aux conditions de production et au contexte qui donne naissance à l’image. Sans pourtant ignorer ses aspects techniques, cette grille d’analyse reste ainsi, une des possibles approches servant à aborder le traitement et l’étude des images. Or, elle ne se veut surtout pas univoque ni réductrice, car l’auteur accepte qu’« aucune analyse ne sera suffisamment complète, dans la mesure où le seul équivalent de l’image, est l’image elle-même » (p.10). Ainsi, tout en précisant « le caractère incontournable de l’environnement du document » (p.34), il pense qu’en suivant cette méthode, les historiens de l’art, les sémiologues et les historiens peuvent « dépasser leurs propres disciplines et bénéficier ainsi d’une situation d’ouverture qui permette de jeter les bases d’une hybridation générale des méthodes » (p.35).
Cette image (p.110) est une carte postale de la 1ère Guerre mondiale. Elle est étudiée par Gervereau en appliquant la même démarche proposée dans sa grille d’analyse. On fait référence au contexte socio-politique de l’époque, ainsi qu’au décryptage de son iconographie et ses éléments techniques. « …Cette image lénifiante est exemplaire d’une production française considérable, patriotique et commerciale, qui touchait d’ailleurs aussi les troupes étrangères sur le territoire hexagonal en s’inscrivant dans la tradition de la ‘grivoiserie’ parisienne », « combattant, héros […] il triomphe à nouveau dans l’offensive horizontale. Doublement permissionnaire, du front et de l’amour, il goûte ce repos où tout lui est dû, enfin passif » (page 112). Bibliographie : Gervereau Laurent, Voir, comprendre, analyser les images, Paris : La Découverte, 1994. Site web personnel de Laurent Gervereau : www.gervereau.com