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« La société autonome ne connaît d’autre limitation que son auto-limitation. ».
Pas d’Etat, pas de police, pas de traditions à craindre, pas de promesses de paradis ou d’enfer : qui posera des limites à la liberté humaine, qui empêchera les humains de commettre des bêtises ? Rien ni personne d’autre que leur propre conscience, leur propre éthique, leur propre réflexion. C’est le paradoxe de l’autonomie, qui à la fois cultive la liberté des humains, et à la fois cultive une capacité de cette liberté à se mesurer elle-même. « Les deux aspects – créativité et auto-limitation – sont inséparables : la liberté ne peut être dissociée de l’adoption de comportements prudents. ». Il y a une « tension entre l’illimitation – (…) la possibilité illimitée par principe de se transformer – et l’auto-limitation. Or, affronter ce problème récurrent, que rien ne peut résoudre d’avance, c’est la tâche des individus éduqués dans, par et pour la démocratie ». « Il faut à la fois favoriser l’activité instituante et introduire le maximum de réflexivité en elle. ».
Ainsi, la démocratie peut faire peur. « Régime de la liberté, cette démocratie est donc le régime du risque historique. Mais elle est aussi, ipso facto, le régime de l’auto-limitation. » La démocratie, « régime tragique » du « risque historique » : cela « ne signifie pas qu’elle est plus exposée que d’autres formes de société aux menaces sur son intégrité, mais qu’elle se confronte à l’absence totale d’assurances ultimes quant à son être propre, ses orientations, ses décisions et leurs conséquences ». En effet, qu’en est-il des autres sociétés, de la démocratie représentative par exemple ? Comportent-elles plus d’assurances ultimes quant à leur intégrité ? Pas vraiment : elles ne font que cultiver des assurances illusoires ; les citoyens effrayés par l’abîme de la liberté pensent se préserver en confiant les dangereuses tâches politiques aux sécurisants experts politiciens. Ce faisant, ils ne se confrontent pas directement au « risque historique », ils le fuient en le délégant… Mais doivent bien s’apercevoir au bout du compte que les experts ne sont pas plus raisonnables qu’eux-mêmes, qu’ils mènent tout droit la société dans l’hubris, l’expansion illimitée et incontrôlée. Ainsi les humains ont tout intérêt à reprendre possession de leur sort collectif, « en opposant leur créativité au processus de réification, et dans celui d’une frugalité raisonnable, en opposant leur autolimitation à la démesure capitaliste ».
Il s’agit donc d’affirmer haut et fort la portée politique de la responsabilité, de la conscience et de l’auto-limitation, principes subversifs dans une société qui noie ses angoisses existentielles dans une fuite en avant aux relents pharaoniques. « Ce n’est qu’à partir de cette conviction, à la fois profonde et impossible, de la mortalité de chacun et de tout ce que nous faisons, que l’on peut vraiment par la démocratie vivre comme être autonome et qu’une société autonome devient possible. »
source: http://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=156